Jacques Lacan (1901-1981)

L’inconscient est structuré comme un langage

Etudiant en médecine, puis psychiatre à partir de 1932, Jacques Lacan s’intéresse de près à la psychanalyse et forge de nombreux concepts aujourd’hui largement utilisés dans le domaine. Il fonde l’EFP en 1964.
Prolongeant les découvertes de Freud, il dédie lui aussi sa vie à la recherche théorique et à la pratique des cures. La question qui occupera Lacan durant plus de 50 ans pourrait-être : « Qu’est ce que la psychanalyse, et quels sont les principes de son pouvoir ? »


Une recherche passionnée

Lacan appuiera ses recherches entre autres sur le structuralisme et la linguistique.
Pour lui, l’inconscient est structuré comme un langage et le langage est la condition de l’inconscient.
Il se servira également de domaines tels que l’optique, les religions ou l’ethnologie, et vers la fin de sa vie des mathématiques et de la topologie, pour faire des liens entre ses concepts, les illustrer, ou représenter symboliquement sa théorie du psychisme et de la cure.
On lui doit notamment les mathèmes, le stade du miroir, et la mise en évidence des relations entre les concepts de sujet, d’objet, de l’Autre, de la demande et du désir, entre les registres de l’imaginaire, du symbolique et du réel, dans lesquels l’homme construit son monde.

Ces nouveaux concepts, passés dans l’usage courant de la psychanalyse, reçoivent leur validation de la clinique psychanalytique, car tout est finalement référencé à la cure et au patient.


Une théorie ouverte

Ces domaines dont il se sert pour illustrer ses concepts, et rarement explorés par les penseurs de la psychanalyse, Lacan les réarrange à son gré pour les adapter à sa théorie et à son univers. Le linguiste ne reconnaît plus son concept initial, ni le mathématicien, ce qui donne lieu à des critiques plus ou moins acerbes des spécialistes de chaque domaine respectif.
Son peu de respect des conventions et sa forte personnalité, sa difficulté à se soumettre à des règles et sa grande acuité de pensée, ont beaucoup séduit, mais aussi agacé et repoussé ses contemporains.

Lacan offre une transmission aride de sa théorie, qui ne se laisse pas facilement appréhender. Mais si son abord est peu accessible, on peut pourtant qualifier sa théorie d’ouverte, car elle donne toujours à penser. C’est l’exact contraire d’une théorie fermée sur elle même, figée dans des définitions définitives.

Au cours de sa recherche, Lacan est toujours resté à l’affut de ce qui se passait de nouveau en dehors du champ de la psychanalyse, ouvert sur les connaissances de son siècle et sur les œuvres passées, notamment du côté de la philosophie. A l’inverse de Freud, qui préférait la tenir à l’écart de ses lectures pour ne pas se laisser influencer par autre chose que la clinique.

Lacan donne très peu d’exemples cliniques, si ce n’est ceux de la littérature : il ne parle pas de ses propres cas. Il livre sa réflexion sur les concepts de sa théorie : une théorie la plus déshabillée possible, de toutes les images de l’exemple, pour en restituer les rapports, les tenants et les aboutissants, dépouillés de tout imaginaire. Il veut en faire ressortir le squelette, la structure.

Il affirmait « la théorie, c’est la pratique ». C’est que sa théorie nous permet de dépasser l’habillage imaginaire des scénarios dont nous parle le patient, pour aller à la structure du discours et au symbolique qui est signifié, comme en témoignera F. Dolto, dont Lacan s’est souvent servi des cas cliniques qu’elle exposait pour réfléchir à sa théorie.


L’enseignement de Lacan

Lacan donnera des séminaires 1953 à 1979 pour exposer ses avancées théoriques. Chaque semaine, il y produira un enseignement différent.
Construits un peu comme un roman policier, ses séminaires donnent l’impression d’une perpétuelle énigme, relançant vers la prochaine leçon : le dernier mot est toujours pour plus tard, car il n’y en a pas.
Dans ses écrits publiés en 1966, il veut, par son style, amener le lecteur à un point où il lui faut impliquer sa propre réflexion. Il faut cheminer au fil du texte de Lacan, cheminement que l’on ne peut faire en lisant des résumés.

Au fil des années, les concepts dont il parle seront de plus en plus épurés des contextes cliniques et des évènements contextuels, pour ne plus être désignés que par une lettre. L’objet devient « a », le phallus « phi », les signifiants « S1, S2 », le sujet « S ». Ce sont ses « mathèmes ».
Il revenait à chaque auditeur de ses séminaires, et aujourd’hui à chaque lecteur, d’y mettre ses propres signifiants et ses propres représentations imaginaires, au fil de l’étude, et en fonction de sa propre expérience. L’effet n’est pas seulement intellectuel, il touche l’inconscient. « Ce que je dis a des effets de sens » disait Lacan.


Des effets sur la cure

Alors qu’elle formait des psychanalystes d’enfants, Dolto, qui le suivit dans son école mais gardait l’originalité de ses convictions et de sa pratique, remarque que les psychanalystes analysés par Lacan étaient rapidement de plain pied avec les enfants, alors que les autres n’en étaient pas capables. Ils s’en tenaient à des comportements. C’est à dire, justement, à l’aspect imaginaire et superficiel des choses.
C’était donc par la pratique, et par la cure psychanalytique, que la théorie de Lacan était validée, comme elle l’est toujours aujourd’hui. C’est pourquoi cette théorie suscite toujours autant d’intérêt, qu’elle est toujours aussi moderne, des décennies après la mort de son auteur. Pour peu qu’on accepte de dépasser la première sensation d’hermétisme, cette théorie a des effets sur la pratique, c'est-à-dire sur la manière de saisir ce que dit le patient ou l’analysant, et de faire avec, c’est à dire conduire la cure, avec le patient. A chacun de faire l’épreuve de ce que nous a transmis Lacan, de vérifier le lien entre ce qu’il amène et ce qui se passe dans la clinique.